Diego Ortiz, Tobias Hume, Thomas Ford, Sieur Demachy...
Folies et concerts à deux violes esgales
Musique de chambre
À propos
Le 10 décembre 1553, en l’un des moments privilégiés du rayonnement de l’âge d’or musical espagnol, fut imprimé à Rome le « Trattado de Glosas » de Diego Ortiz, connu aussi sous le nom de « el Toledano ». Référence incontournable pour l’étude de la pratique instrumentale du XVIe siècle, cette œuvre présente un intérêt exceptionnel, tant du point de vue purement historique que par sa valeur artistique, puisqu’elle contient les plus beaux exemples du répertoire connu pour viole de gambe (vihuela de arco ou violone) et clavecin au temps de la Renaissance.
Le compositeur et violiste anglais Tobias Hume (ca.1569-1645) s’est probablement lancé dans la composition assez tard. Même s’il fut un des meilleurs violistes de son temps, Hume n’en reste pas moins un véritable personnage de roman, une personnalité truculente, forte, inégale et excentrique. C’est peut-être ce caractère qui lui fit occuper une place particulière dans le monde des musiciens de la Renaissance, tenu éloigné des Cours Royales. Mais le Capitaine Tobias Hume était surtout un officier qui a dévoué sa vie à la carrière militaire ; il fut mercenaire pour le Roi de Suède et l’Empereur de Russie, on le retrouve à la guerre en Pologne avant de rentrer à Londres en 1629, cherchant à se faire engager par le Roi pour combattre la rébellion en Irlande. Âgé d’environ 60 ans, il trouve refuge à la Chartreuse (« Charterhouse ») de Londres, monastère servant d’hospice aux gentilshommes, officiers, ecclésiastiques nécessiteux ; il y meurt ruiné, amer et presque fou le 16 avril 1645.
Musicien de la cour d’Angleterre, Thomas Ford publie sa plus importante collection musicale en 1607 à Londres, les « Musicke of Sundrie Kindes ». Attaché quant à lui à la cour de Ferdinand-Charles d’Autriche à Innsbruck, le violiste anglais William Young publie ses sonates en 1653. Ses pièces pour viole seule apparaissent dans un manuscrit londonien conservé au Royal College of Music qui présente un florilège de pièces de multiples compositeurs de cette époque.
Né à Abbeville et installé rue Neuve-des-Fossés à Paris, le sieur Demachy publie en 1685 la première collection de pièces de viole qui consiste, comme tous les recueils instrumentaux de l’époque, en suites de danse pour moitié en tablatures et pour moitié en partitions. On ne sait rien ou à peu près de Monsieur de Sainte-Colombe, pas même son prénom ; et le mystère de sa personne n’est pas sans redoubler celui qui se dégage des « Concerts à deux violes » qui seuls nous étaient parvenus. Les violistes savent qu’il était l’inventeur de cette septième corde qu’on ajouta en France à l’instrument. On en a déduit qu’il avait deux filles du fait qu’il donnait des concerts avec elles. Et Titon du Tillet avait raconté la plaisante histoire de Marin Marais venant écouter son maître en secret, caché sous la cabane dans un mûrier où celui-ci « jouait plus tranquillement et plus délicieusement de la viole ».
La Folia (à la fois “amusement débridé” et “folie”), danse populaire espagnole d’origine portugaise qui s’est développée vers la fin du Moyen Âge dans la péninsule ibérique, est un élément essentiel du répertoire instrumental ibérique des XVIIe et XVIIIe siècles. Par quel mystère, pendant plus de deux siècles, ces thèmes rebattus, d’une fraîche et tourbillonnante simplicité, ont-ils pu obséder tant de compositeurs dans toute l’Europe, depuis l’Espagne ? La subversion contenue dans des traitements si divers où la plus savante variation, l’ornementation la plus débridée ne brisent jamais l’élan hypnotique initial. Dans ces “standards” avant la lettre, la déraison de chacun, compositeurs et interprètes, transporte l’auditeur. Nul doute que Marin Marais ait cherché à retrouver, dans ses couplets de Folies d’Espagne, cette transe auditive provenant du rythme obsessionnel de l’ostinato.
Deux des violistes les plus demandés de la nouvelle garde baroqueuse proposent une immersion dans le monde mystérieux de la viole de gambe, instrument baroque encore peu connu du grand public et qui revient sur le devant de la scène grâce à de jeunes musiciens de plus en plus soucieux de retrouver la justesse sonore de la période baroque.
Juliette Guichard et Valentin Tournet nous emportent dans les ombres et lumières des duos à deux violes esgales : un univers fascinant de couleurs et de lyrisme, des danses exaltées aux plaintes intérieures, où la musique touche au cœur par sa poésie et sa perfection.
Le programme s’articule autour d’œuvres uniques dont les sonorités nous rappellent que « la musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler » comme le disait Sainte-Colombe dans Tous les matins du monde.
Distribution
Valentin Tournet, viole de gambe
Juliette Guichard, viole de gambe